Internet, tiers nébuleux de la relation patient-médecin.
Article paru en 2010 dans la revue trimestriel "Les Tribunes de la santé" . Se propose de développer une approche pluridisciplinaire,
prospective et sans frontière de la santé et de l’assurance maladie. Son
ambition est d’ouvrir de nouvelles tribunes, de constituer un lieu de
réflexions et d’échanges.
S'y
expriment : des professionnels de santé,
chercheurs, administrateurs, économistes, juristes, historiens, sociologues,
philosophes, entrepreneurs, associatifs, politiques…
Auteurs :
Auteurs :
- Cécile Méadel : sociologue. Professeur à Mines ParisTech, ou encore Panthéon-Assas,
chercheuse au Centre de sociologie de l’innovation. A consacré l’essentiel de
ses travaux aux technologies de l’information et de la communication, à la
formation des publics et des usagers et au développement de l’Internet, en
particulier dans le domaine de la santé.
- Madeleine Akrich : sociologue et
ingénieure. A été directrice du Centre de sociologie de l’innovation de Mines ParisTech. Ses travaux sont
consacrés à la sociologie des techniques et s'inscrivent dans la perspective de
la théorie de l'acteur-réseau. Privilégiant l'analyse des usagers, elle s'est
interrogée notamment sur les relations de ceux-ci avec les technologies.
Elles mènent ensemble des travaux sur le rôle des listes de
discussion Internet dans la constitution d’une expertise des patients.
Quel est l'impact du développement de
l'Internet sur la relation entre le patient et le médecin?
Internet : intrus ou médiateur dans la relation patient-médecine?
Ont enquêté notamment sur les sites et forums de
patients.
Problématique
:
comment la présence d'internet agit ou pas sur la relation entre le malade et
le professionnel de santé.
I.
Constat : internet est un tiers omniprésent.
--> Pour les professionnels de santé : Internet
est fortement utilisé. Il s'agit pour eux d'une grande bibliothèque facilement
accessible. Plus de 50% d'entre eux l'utilisent tous les jours : pour eux les
informations y sont globalement pertinentes.
L'utilisation des TIC (technologies de
l'information et de la communication) n'est pas également répartie chez les
médecins : utilisation plus intensive et appréciation positive par les
spécialistes de sexe masculin. Perception qu'ont les médecins du web santé
varie aussi en fonction de la connaissance qu'ils ont des outils.
-->
Pour les patients : 64% des patients français utiliseraient internet pour
obtenir des informations en santé.
Large
généralisation d'internet dans toutes les couches de la société (2 foyers sur 3
y ont accès). Toutefois, les usagers ne sont pas tous égaux : le niveau
d'éducation modifie le type de recherche, son approfondissement, la pertinence
des questions posées, etc.
II. Un "non-outil" de
communication
Médecin
et patient utilisent internet qui est donc présent dans la consultation
médicale. Pourtant Internet n'est qu'un tiers et non un moyen d'échange entre
le médecin et le patient.
La cas de l'email :
Serait
peu utilisé malgré sa rapidité et sa simplicité : moins de 5% des européens, en 2010, auraient échangé par mail avec
leur médecin (renouvellement d'ordonnance et prise de rdv).
Pourquoi
? : 2 raisons essentielles :
-->
selon les enquêtes : l'email est facile d'usage et accessible mais suppose de
prendre du temps. Le médecin considère qu'il s'agit d'une tâche supplémentaire (des
études posent même la question de la rémunération de cette tâche) ;
-->
Manque de sécurité et de confidentialité.
Le cas de la communication collective
via un site web :
Rare. Peu de sites de médecins.
- Ex : les auteurs ont fait une
enquête sur 3 spécialités médicales (dermatologie, pédiatrie et ophtalmologie)
dans 3 régions françaises (IDF, PACA, Rhône-Alpes) : moins d'1% des médecins
ont un site internet, la plupart ne comportant que les infos pratiques
(adresse, horaires...). Les info d'ordre médical restent rares et générales, ce
qui s'expliquerait pas les exigences du code de déontologie.
-
Ex : il existe beaucoup de sites sur la santé ou forums de discussion, y
compris élaborés par des professionnels, mais ils ne sont pas des lieux
d'échanges médecins/patients (ou très rarement). On y trouve une nette
séparation entre les 2 :
-
ceux réservés aux patients ;
-
ceux réservés aux praticiens ;
-
ceux qui sont mixtes mais qui ont des pages pour les professionnels et d'autres
pour les patients.
Ce
tiers qu'est internet fait que le médecin n'a plus toutes les cartes lui
permettant de gérer sa relation avec son patient, mais il lui en reste
beaucoup.
III. L'information, menace ou appui
pour la relation patient/médecin?
Inquiétude
du corps médical : un rapport adressé en 2010 au Président de la République
constate : internet et les divers sites sont les premiers informateurs des
patients qui établissent leur diagnostic (souvent dans le sens le plus négatif)
avant d'aller voir leur médecin. Pour ce rapport, la relation patient/médecin
est faussée, certains patients pouvant ne pas comprendre que des examens indiqués
sur internet ne soient pas prescrits par le médecin.
Les
auteurs relèvent 2 problèmes :
-
Perte de l'autorité des médecins et potentielle détérioration de la relation
avec le patient.
Pb.
difficile à régler puisqu'on ne peut pas empêcher un patient de chercher une
meilleure information., d'autant que depuis 2002 c'est une obligation légale.
De
nombreux écrits soulignent d'ailleurs qu'un patient mieux informé, et donc
davantage éclairé sur les diverses questions qu'il se pose, adhère plus aux
soins.
Cette
recherche d'information est cependant ressenti comme un manque de confiance par
les médecins.
Or, toutes les recherches relèvent que
l'information accessible sur un internet ne remet pas en cause la confiance
qu'ont les patients en leur médecin. Ainsi, internet s'articule avec la consultation (est un complément) mais
ne la concurrence pas.
Pas de remise en cause de l'autorité
médicale dans la plupart des sites, un grand nombre intégrant des
professionnels dans leur organe de direction ou rédaction (cf. Doctissimo).
-
Impact sur le patient d'une mauvaise information. Interrogation des
médecins sur la qualité des infos, crainte de charlatans de tout genre...
Pour
les auteurs, le patient-internaute ne doit pas être vu comme quelqu'un d'isolé,
sans savoir, qui se trouverait désarmé face à un flot d'informations. En effet,
sur internet, plusieurs personnes se sont posées les mêmes questions, ont
analysé, fait expertiser, ont comparé et mettent en garde.
- Pour
les auteurs, le caractère collectif d'internet assure un contrôle qualité
efficace : niveau d'expertise des patients est élevé car circulation de peu
d'erreurs qui sont tout de suite repérées et corrigées.
Les
auteurs relèvent d'ailleurs que malgré les inquiétudes des médecins, très peu
renvoient leurs patients vers des sites qu'ils estiment de qualité.
IV) L'internet comme vecteur pour la
constitution de nouvelles formes d'expertise
Si
internet n'est pas une menace pour la relation médecin/patient, il y a des
domaines où cette relation se transforme de façon avancée.
C'est
le cas notamment pour certaines pathologies (maladies rares, syndromes mal
connus...) telle que l'autisme. Investigations poussées sur le web par les
patients et leurs proches, veille de recherches, discussion sur le web avec des
personnes connaissant les mêmes problèmes, constitution de collectifs. Ces
personnes deviennent ainsi de vrais experts dans la maladie qui les touche,
expertise reconnue par des médecins et autres professionnels partageant leur
approche, ou entrant en conflit avec eux. Cette expertise, nourrie d'arguments
solides, les amène ainsi à désapprouver les formes de prise en charge prônées
par les autorités sanitaires et à se tourner vers les professionnels partageant
leur conception de cet handicap et de ce que doit être la meilleure façon de le
prendre en charge.
-->
internet ne bouleverse pas la relation médecin/patient mais la constitution
d'expertise peut avoir des effets
variables selon les pathologies et le degré de connaissances notamment.
Pour conclure, les auteurs
précisent que cet accès facile à l'information via internet comporte une
dérive: l'obligation pour le patient de s'informer. Pour elles, l'information
est une ouverture et ne doit surtout pas être contraignante, éprouvante et
rendre ainsi la maladie omniprésente dans le quotidien du patient. Le patient a
donc le droit de ne pas s'informer.
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