Camille Flammarion : prestige de la science populaire.




Cet article, "Camille Flammarion : prestige de la science populaire", est paru en 1989 dans la revue "Romantisme" qui traite de sujets (littéraires, artistiques, scientifiques, historiques, politiques...) centrés sur le 19e siècle. Auteur : Bernadette Bensaude-Vincent.

CF 1842-1925. Autodidacte. Alors qu'il est malade, son médecin qui le soigne découvre le manuscrit Cosmogonie universelle. Sentant le potentiel de CF, il fait jouer ses relations.

Il entre ainsi à 16 ans à l'Observatoire de Paris en tant qu'élève-astronome (1858-1862). Le Verrier est alors directeur de l'Observatoire. Découvreur de Neptune, il est un astronome renommé (sa statue est devant l'Observatoire).
Mais en 1862, Le Verrier chasse CF de l'Observatoire suite à la parution de la Pluralité des Mondes habités. Ce n'est pas le sujet qui choque (car ce n'est pas un sujet nouveau chez les scientifiques) mais le style jugé peu académique car trop littéraire (Le Verrier : "vous n'êtes pas un savant mais un poète").

Dès lors, CF "vend de la science" : conférences et nombreux écrits (livres, articles dans divers journaux et revues). Il dispose d'une large audience. Il va alors décider de se venger de Le Verrier.

Mais cette vengeance symbolise-t-elle le combat entre science populaire et science officielle ?
Beaucoup d'écrivains et journalistes (Auguste Comte, Raspail...) ont attaqué l'Académie, institution jugée décadente, trop liée au pouvoir, pédante et comme étant un frein au progrès.
Au vu de son combat contre Le Verrier (parfait représentant de l'académisme), CF semblait tout désigner pour poursuivre la croisade contre la science académique.

Mais tel n'est pas le cas. CF est très modéré et voit dans son combat avec Le Verrier un simple conflit entre 2 personnalités (caractère épouvantable de Le Verrier, peu apprécié par ses collègues).
CF attaque le carriérisme de certains savants et non l'Académie en elle-même qui fournit des savants modèles et notamment Arago qui tient une place essentielle pour CF. Le fait que CF ait placé face à la porte d'entrée de l'Observatoire de Juvisy, au pied de l'escalier, son buste n'est pas anodin.

Grand savant et homme politique, Arago donnait des cours d'astronomie populaire.
Ouvrir la science au plus grand nombre sans la vulgariser, tel était sa volonté. Son succès était tel qu'il fit construire un amphithéâtre à l'Observatoire de Paris pour donner ses cours. Son successeur, Le Verrier, peu porté sur la dissémination du savoir, le fit démolir pour le remplacer par un appartement de 400 m². En 1854, paraît à titre posthume l'Astronomie populaire (issue de ses cours) d'Arago.

CF lui dédie son Astronomie populaire et le nomme "fondateur de l'astronomie populaire".

Ainsi, loin d'être en guerre contre l'Académie, il place son plus célèbre ouvrage sous le haut-patronage d'un des plus illustre membre de l'Académie! Mais par là, fait-il allégeance à l'astronomie académique ?

Pour l'auteur, l'hommage qu'il fait dans la dédicace de son ouvrage à Arago mais aussi à Galilée ou encore Kepler lui permet surtout de se placer dans une noble lignée de savants et ainsi de se légitimer.
De plus, l'auteur ajoute qu'en se référant à Arago, CF semble vouloir se distinguer des autres vulgarisateurs.
En effet, Arago disait : "je maintiens qu'il est possible d'exposer utilement l'astronomie, sans l'amoindrir, j'ai presque dit sans la dégrader, de manière à rendre ses plus hautes conceptions accessibles aux personnes presque étrangères aux mathématiques".
C'est là toute la pensée de CF dont le projet est de "populariser" la science sans l'altérer, et non la "vulgariser" car pour lui, vulgariser la science c'est l'abaisser et lui faire perdre sa sublimité. Pour lui, la nature est belle. Par conséquent, la science, qui est son interprétation, ne peut pas être vulgaire.

Alors, si CF n'est pas un vulgarisateur, est-il pour autant un académique ? L'auteur précise que CF se différencie de la science académique car il ajoute une clause esthétique, à savoir la beauté de la nature. La science populaire se distingue ainsi par le principe du plaisir.

Dès lors, l'Astronomie populaire de CF parue en 1880 n'est-elle qu'une mise à jour de celle d'Arago? Non. Les deux ouvrages sont très différents.
Arago : style dépouillé avec schémas explicatifs (assez froid). Long exposé des notions préliminaires permettant d'aborder l'astronomie. Idée de progression pédagogique et didactique. Ne bouscule pas l'astronomie académique.

Livre de CF est coloré, richement décoré et illustré de gravures ayant pour but non d'expliquer mais de faire appel à l'imagination du lecteur, à le faire rêver. Pas de description mais un voyage dans l'Univers. Le ton est lyrique. Pas de progression didactique ou d'explication préalables des notions. Ses démonstrations mélangent observations, résultats d'expériences et arguments plus triviaux. Utilisation de métaphores et d'hyperboles.

Dans ses démonstrations, CF dépasse l'astronomie car pour lui elle touche à toutes les branches des connaissances humaines (lesquelles ne sont pas segmentées comme les sections de l'Académie).
Il recourt à la personnification des astres (vision érotique de la Terre), ce qui lui permet de s'affranchir des explications par les mathématiques, l'optique ou les instruments car seules comptent les splendeurs du ciel.
Pour lui, les maths ont juste servi à construire l'astronomie. Ils ne sont plus nécessaires car désormais la science du ciel est suffisamment avancée. Le progrès scientifique tend donc vers la science populaire.

Pour l'auteur, la démarche de CF entend faire passer un message : la Terre n'est qu'un corps céleste parmi d'autres perdu au milieu de l'espace. Il veut ainsi faire comprendre combien sont absurdes les guerres et les "chamailleries" des hommes à l'échelle de l'Univers. L'astronomie a donc une mission civilisatrice.

Mais alors, chez CF, la science ne serait-elle qu'un prétexte ?
Non. L'auteur relève le ton acerbe du dernier chapitre du livre : pour CF, la science ne doit plus être réservé à un petit nombre. Le but de CF est de pratiquer et faire pratiquer la science, et surtout de le faire en toute liberté. Pour cela, il lance une souscription auprès de ses lecteurs  pour ouvrir un laboratoire aux amateurs. Cela a pour conséquence de reconnaître et de faire exister enfin les astronomes amateurs.
La conséquence des travaux de CF, c'est le triomphe de la science libre :

- création de l'Observatoire de Juvisy (observatoire populaire et indépendant - chose pas évidente à l'époque où la création d'un observatoire dépendait d'une décision de l'Etat, les programmes de recherches étant le plus souvent communs avec ceux de l'Observatoire de Paris).
Une comète y sera découverte prouvant ainsi selon l'auteur la réussite du projet d'une science populaire compétitive et de qualité professionnelle,

- Création en 1887 de la Société astronomique de France (objectif : « diffuser les sciences de l’Univers et faire participer les amateurs à leurs progrès. »). Centaines de vocation d'astronomes. A noter que chaque lecteur et astronome pouvait écrire à CF et lui faire part de ses découvertes.

- Création de sociétés astronomiques et observatoires Flammarion en France et à l'étranger formant ainsi un réseau international d'amateurs // à l'astronomie académique.

CF a ainsi une véritable légitimité.
Il publiera dans les comptes-rendus de l'Académie des sciences, tous les présidents de la SAF sont membres de l'Institut, le nom de Juvisia sera même donné à une planète en 1912, année où il est décoré de la Légion d'honneur.

Cela cautionnera ses travaux ultérieurs, y compris les moins orthodoxes tels que ses observations sur le magnétisme et les maisons hantées.

L'auteur ajoute que les autorités académiques ont fini par considérer CF, l'engouement suscité par CF étant profitable à la communauté scientifique.

Ainsi, l'auteur conclue en affirmant que le succès de CF réside dans le fait qu'il a su créer un réseau de science populaire loin de la vulgarisation et parallèle à la science académique qui a donné des savants respectables. Pour CF, la science doit être attrayante et ouverte à tous, elle ne peut être fermée et rigide.



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